Albert Camus : plage, lumière, sable et l’absurde romanesque

Plage en Bretagne

Albert Camus : plage, lumière, sable et l’absurde romanesque

Albert Camus : plage, lumière, sable et l’absurde : photographie d’une plage bretonne illustrée par extrait du roman d’Albert Camus l’étranger et son thème l’absurde. Il s’agit aussi d’un clin d’œil au groupe The Cure… que je considère comme le groupe majeure de ces 50 dernières années…

L’étranger (extrait)

Je voyais de loin la petite masse sombre du rocher entourée d’un halo aveuglant par la lumière et la poussière de mer.
Je pensais à la source fraîche derrière le rocher. J’avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil,
l’effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l’ombre et son repos. Mais quand j’ai été plus près, j’ai vu que le type de Raymond était revenu.
Il était seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil.
Son bleu de chauffe fumait dans la chaleur. J’ai été un peu surpris. Pour moi, c’était une histoire finie et j’étais venu là sans y penser.
Dès qu’il m’a vu, il s’est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j’ai serré le revolver de Raymond dans mon veston.
Alors de nouveau, il s’est laissé aller en arrière, mais sans retirer la main de sa poche. J’étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres.
Je devinais son regard par instants, entre ses paupières micloses. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux, dans l’air enflammé.
Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étalé qu’à midi. C’était le même soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici.
Il y avait déjà deux heures que la journée n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans un océan de métal bouillant.
À l’horizon, un petit vapeur est passé et j’en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n’avais pas cessé de regarder l’Arabe.
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi.
J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire.
J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils.
C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau.
À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas.
Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil.
La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières
et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel.
Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, la glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi.
Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent.
Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver.
La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé.
J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux.
Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût.
Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

Albert Camus

Le saviez-vous ?

Né en 1913, Albert Camus devient orphelin de son père tué à la 1ère guerre mondiale alors qu’il n’a qu’un an. A 17 ans, on découvre qu’il est atteint de la tuberculose.
Son plaidoyer pour un règlement pacifique du conflit algérien lui vaudra l’inimitié des pieds-noirs aussi bien que des Algériens. En 1960, alors qu’il vient d’être guéri de la tuberculose, que sa carrière est à son apogée, il meurt dans un accident de voiture.
Albert Camusfut à la fois romancier, philosophe, dramaturge et journaliste. Son humanisme est fondé sur la prise de conscience de l’absurde de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l’absurde, révolte qui conduit à l’action et donne un sens au monde et à l’existence.
A la question de savoir comment juger que le sens de la vie est une question plus pressante qu’une autre, Camus répond : « C’est aux actions qu’elle engage . Peu de personnes meurent pour l’argument ontologique tandis que beaucoup meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas le coup d’être vécue ou parce qu’ils se font tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre ». « Les problèmes essentiels sont ceux qui risquent de faire mourir ou qui décuplent la passion de vivre ».

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