Photographie de nuit du Vieux Palais de Belgrade (Beograd) en Serbie illustrée par une poésie du très célèbre poète Serbe Miroslav Antić.
Le Stari dvor, Vieux palais en français parfois surnommé le « Versailles serbe », est un palais situé à Belgrade, la capitale de la Serbie. Ancienne résidence royale des dynasties Obrenović et Karađorđević, il abrite aujourd’hui l’Assemblée de la ville de Belgrade.
Belgrade
Je ne veux pas étudier le droit, car je ne pourrais jamais prouver au monde qu’il était juste que tu aies jeté sous le train ton enfant blanc ce printemps-là.
Ni la médecine, car je ne pourrais jamais soigner les petites fraises souffrantes qui ont mûri sur ton ventre jadis si ferme.
Et les poèmes je les écrirai toujours aussi sincères et hideux, semblables à cette réfection enfumée, à notre nouvelle rencontre de ce soir, dix ans après.
Nous étions tous amoureux de toi dans le quartier. Une ruée de jouvenceaux. Comment m’aurais-tu reconnu dans cette cohue ? Que ton pied lutte avec le mien sous la table, car nous tous, finalement, dans ce monde, luttons comme nous le pouvons.
Après toi il restera les mêmes rues, et les enfants qui apprennent à l’école à dessiner le printemps, et les livreurs de journaux, mais personne ne te pleurera, personne ne hurlera à la lune comme un fou, bien que tu aies porté dans tes yeux gris un monde qui valait plus que toutes les guerres, que les centrales hydrauliques, que les gains en bourse et à la roulette.
Et j’aimerais tant, moi qui détestais tous les rois, que tu deviennes cette nuit une reine, qu’on te porte dans les places de la ville, qu’on s’incline devant toi, qu’on t’acclame et qu’on écrive des vers sur tes yeux et tes cheveux.
On obligerait et les feuilles, et les ballerines de l’opéra national, et les manèges de foire, et les publicités lumineuses à tourner en rond comme des millions de poussières dans ton sang.
Prends tes bagages. Le train part une minute après minuit. Je ne suis ni l’Ange Gabriel, ni un policier qui s’occupe des voyageurs. Je suis juste un poète ivre et je saluerai longtemps le train, car nous sommes toi et moi de la même famille : celle de l’humanité.
Miroslav Antić
source : journals.openedition.org
Le saviez-vous ?
Miroslav Antić (1932-1986) disait lui-même :
J’ai fait n’importe quoi. J’ai été aide-maçon, ouvrier dans une brasserie, docker, marin, metteur en scène, je me suis occupé de plomberie et de canalisations, travaillé avec des compresseurs, façonné du bois, je sais construire un toit, j’ai joué dans un théâtre de marionnettes, et même fabriqué des marionnettes, animé des émissions à la télévision, été conférencier.
Parmi ses recueils les plus marquants, citons Plavo nebo (Le Ciel bleu, 1954), Psovke nežnosti (Les Jurons de la tendresse, 1959), Koncert za 1001 bubanj (Concert pour 1001 tambours, 1962), Mit o ptici (Le Mythe de l’oiseau, 1979), Savršenstvo vatre (La Perfection du feu, 1982).
Il y a chez Antić comme un impératif, celui de rester vivant, coûte que coûte. Pour cela, il lui faut défier la raison, célébrer l’amour et braver la mort. Défier la raison, en invoquant une métaphysique qui bouscule les règles les plus élémentaires de la logique. Célébrer l’amour, cette mesure d’innocence et de souffrance sans cesse recommencées. Braver la mort, enfin, en la regardant dans les yeux, en visitant sa propre tombe ou en écrivant une épitaphe qui n’en est pas vraiment une, comme pour se rendre immortel.
Et si la mort malgré tout advenait, Antić avait pris soin d’adresser à ses lecteurs le vœu suivant :
Ce que je préférerais, c’est que vous inventiez ma biographie vous-mêmes. J’aurai alors beaucoup de vies diverses et je serai le plus vivant parmi les vivants.
Source et pour en savoir plus journals.openedition.org
Le reste, ce qu’il ne faut pas dévoiler d’un écrivain, mais plutôt le chuchoter, je l’ai dit dans mon poème In Memoriam.
Et dans tous mes autres poèmes.
