Photographie de l’Hôtel du Nord, rendu célèbre par le film de Marcel Carné. Cet hôtel situé au bord du Canal Saint-Martin dont la façade blanche avec ses lettres en mosaïque bleue a été classée au titre des monuments historiques en 1989, est un lieu emblématique de Paris. Il a été rendu célèbre par le film de Marcel Carné, l’Hôtel du Nord, inspiré du romain d’Eugène Dabit dont voici un court extrait.
L’Hôtel du Nord
Extrait du Romain d’Eugène Dabit
Emile Lecouvreur tira sa montre, elle mar-
quait 2 h. 20. M. Mercier, marchand de fonds,
lui avait donné rendez-vous sur le quai de
Jemmapes, près du poste-vigie, pour 2 heures
précises. Il chercha mentalement à excuser
ce retard et dit à sa femme et à son fils qui
s’impatientaient :
— C’est un type qui s’y connaît, on peut
avoir confiance.
Il regarda d’un œil plein de convoitise
l’Hôtel du Nord qui se dressait de l’autre
côté de la rue.
(..)
M. Mercier ouvrit la porte
de l’hôtel ; cérémonieusement il introduisit
Louise Lecouvreur qui, un feu aux joues, se
tenait derrière son mari.
Philippe Goutay, au comptoir, rinçait des
verres. On fit les présentations. Mme Goutay
apparut sur le seuil de la cuisine. Elle s’excusa
d’être surprise en souillon.
— J’étais après la vaisselle, dit-elle. Je
cours changer de tablier et je vous suis.
La visite de l’hôtel commença. On accédait
au premier étage par un escalier étroit et
raide qui se coudait à mi-chemin pour ména-
ger la percée d’une fenêtre. Sur le palier
s’ouvrait un couloir desservant les chambres.
La lumière arrivait d’une petite cour
intérieure que le groupe franchit sur une
passerelle, ensuite ce fut l’ombre dans le
couloir.
(..)
Au hasard, sembla-t-il, M. Goutay ouvrit
une porte. La chambre était si petite qu’il
n’y pouvait guère tenir qu’un visiteur à la
fois. Ils y pénétrèrent tous les six, à tour de
rôle. Louise Lecouvreur s’y attarda. Une lu-
mière grise s’accrochait aux rideaux déchirés,
un papier à fleurs déteint attristait les murs ;
le lit se trouvait serré entre une armoire de
bois blanc et la table de toilette ; dans un coin,
près du seau hygiénique, traînait une paire
de vieux souliers. L’exiguïté, le dénuement,
l’odeur de ce lieu, créaient un malaise. Louise
(..)
Emile Lecouvreur ne s’étonnait pas de
cette indigence. Durant la guerre n’en avait-il
pas vu d’autres ; et des nuits dans les granges,
ou même « à l’auberge de la belle étoile »,
comme il disait en riant. Il fallait aussi con-
sidérer le prix des chambres : à ce tarif-là,
pouvait-on mieux offrir ? D’ailleurs toutes
ces salissures partout prouvaient bien que les
locataires se soucient peu de propreté ; cet
inconfort ne devait guère les incommoder.
Et puis, à quoi leur servaient ces chambres ?
A dormir, pas plus.
Extrait de « L’Hôtel du Nord » d’Eugène Dabit