Médina Marrakech – Bahia et la leçon de Nizar Quabbani
Médina Marrakech : Photographie du palais Bahia (palais de la belle, de la brillante) est un palais duXIXe siècle de huit hectares situé à Marrakech, illustrée par une magnifique poésie de Nizar Quabbani intitulée « leçon d’art plastique ».
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[panel title= »Photo 1″ description= »le Palais de la Bahia »]Médina Marrakech – le Palais de la Bahia
Leçon d’art plastique
Mon fils pose devant moi sa palette de couleurs
Et me demande de lui dessiner un oiseau.
Je plonge le pinceau dans la couleur grise
Et lui dessine un carré
Avec des barreaux et un cadenas.
Mon fils me dit, tout surpris :
Mais c’est une prison, père,
Ne sais-tu donc pas dessiner un oiseau ?
Je lui dis : Mon fils, excuse-moi,
Je ne sais plus comment sont faits les oiseaux.Mon fils pose devant moi ses crayons de couleurs
Et me demande de lui dessiner la mer.
Je prends un crayon mine
Et lui dessine un cercle noir.
Mon fils me dit :
Mais c’est un cercle noir, père,
Ne sais-tu donc pas que la mer est bleue ?
Je lui dis : Ecoute, mon fils,
Jadis, je savais très bien dessiner les mers,
Mais on m’a confisqué ma canne à pêche,
On m’a pris mon bateau,
On m’a interdit toute relation avec la couleur bleue,
Et avec le poisson de la liberté.Mon fils pose devant moi son cahier de dessin
Et me demande de lui dessiner un épi de blé.
Je prends un crayon
Et lui dessine un revolver.
Mon fils se moque de mon ignorance
Et me dit, tout étonné :
Ne fais-tu donc pas la différence
Entre un épi de blé et un revolver ?
Je lui réponds : Ecoute, mon fils,
Je savais jadis comment était fait l’épi de blé,
Comment était la galette de pain,
Comment était la rose,
Mais en ce temps métallique,
Où les arbres de la forêt
Se sont enrôlés dans la milice
Où la rose est en tenue léopard,
En ce temps d’épis armés,
D’oiseaux armés,
De culture armée,
Je n’achète pas une galette de pain
Sans y trouver un revolver,
Je ne cueille pas une rose dans un bosquet
Sans qu’elle me menace de son arme,
Je ne feuillette pas un livre dans une librairie
Sans qu’il explose entre mes mains.Mon fils s’assoit sur le bord de mon lit
Et me demande de lui réciter un poème.
Je verse une larme sur l’oreiller.
Il la ramasse et me dit :
Mais c’est une larme, père, et non un poème,
Je lui dis :
Quand tu seras grand
Et que tu liras la somme de la poésie arabe,
Tu sauras que le mot et la larme sont frère et sœur
Et que le poème arabe
N’est qu’une larme qui coule entre les doigts.
Mon fils pose devant moi sa boîte de couleurs
Et me demande de lui dessiner une patrie.
Le pinceau tremble dans ma main
Et je fonds en larmes
NIZAR QABBANI
source : emmila.canalblog.com