Sur le pont Neuf j’ai rencontré
Photographie du Pont Neuf et de La Samaritaine de nuit accompagnée d’une magnifique et célèbre poésie de Louis Aragon « Sur le pont Neuf j’ai rencontré » !
Le pont Neuf est, malgré son nom, le plus ancien pont existant de Paris, et doit son nom à la nouveauté que constituait à l’époque un pont dénué d’habitations et pourvu de trottoirs protégeant les piétons de la boue et des chevaux.
Sur le pont neuf
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
D’où sort cette chanson lointaine
D’une péniche mal ancrée
Ou du métro
Samaritaine
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Sans chien sans canne sans pancarte
Pitié pour les désespérés
Devant qui la foule s’écarte
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
L’ancienne image de moi-même
Qui n’avait d’yeux que pour pleurer
De bouche que pour le blasphème
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Cette pitoyable apparence
Ce mendiant accaparé
Du seul souci de sa souffrance
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Fumée aujourd’hui comme alors
Celui -que je fus à l’orée
Celui que je fus à l’aurore
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Semblance d’avant que je naisse
Cet enfant toujours effaré
Le fantôme de ma jeunesse
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Vingt ans l’empire des mensonges
L’espace d’un miséréré
Ce gamin qui n’était que songes
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Ce jeune homme et ses bras déserts
Ses lèvres de vent dévorées
Disant les airs qui le grisèrent
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Baladin du ciel et du cœur
Son front pur et ses goûts outrés
Dans le cri noir des remorqueurs
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Le joueur qui brûila son âme
Comme une colombe égarée
Entre les tours de
Notre-Dame
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Ce spectre de moi qui commence
La ville à l’aval est dorée À l’amont se meurt la romance
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Ce pauvre petit mon pareil
Il m’a sur la
Seine montré
Au loin des taches de soleilSur le
PontNeuf j’ai rencontré
Mon autre au loin ma mascarade
Et dans le jour décoloré
Il m’a dit tout bas
Camarade
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Mon double ignorant et crédule
Et je suis longtemps demeuré
Dans ma propre ombre qui recule
Sur le
Pont
Neuf j’ai rencontré
Assis à l’usure des pierres
Le refrain que j’ai murmuré
Le rêve qui fut ma lumière
Aveugle aveugle rencontré
Passant avec tes regards veufs
O mon passé désemparé
Sur le
Pont
Neuf
Louis Aragon – « Le Roman inachevé » publié par Gallimard en 1956
A propos de Louis Aragon :
Louis Aragon est né en octobre 1897 à Paris. Il commence des études de médecine et rencontre, en 1917, à l’hôpital du Val-de-Grâce, André Breton. En 1919, il fonde la revue Littérature avec Philippe Soupault et André Breton. Louis Aragon est un membre du mouvement Dada et du mouvement surréaliste. Il publie Anicet ou le Panorama en 1921 et le Paysan de Paris en 1926. L’année suivante, en 1927, il adhère au parti communiste. Il devient par ailleurs journaliste à L’Humanité. En 1928, il rencontre Elsa Triolet et rompt avec les surréalistes en 1932. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il entre dans la Résistance et publie des poèmes dédiés à Elsa Triolet, sa compagne. Il s’agit du Crève-cœur en 1941 et des Yeux d’Elsa en 1942. En 1970, Elsa Triolet meurt. En 1982, Aragon meurt en décembre à Paris.
Pour en savoir plus…