A l’heure charmante des candélabres du Pont Alexandre III
A l’heure charmante des candélabres du Pont Alexandre III : photographie romantique d’un coucher de soleil depuis le Pont Alexandre III et ses sublimes candélabres illustrée par les vers de « l’heure charmante » d’Edmond Rostand…
L’heure charmante
Le repas s’achevait en musique, aux bougies.
Le vieux parc n’était plus le parc aux élégies,
Mais s’éclairait de ces lanternes du Japon
Qui, sous le fil de fer léger qui leur sert d’anse,
Au moindre éveil de brise entrent toutes en danse,
En étirant leurs corps annelés de crépon.
Des reflets s’en allaient sous l’eau du lac moirée
Croiser leurs vrilles d’or. Ce fut une soirée
Unique. Le feuillage était notre plafond ;
Des étoiles luisaient dans tous les interstices ;
Les décors naturels se mêlaient aux factices ;
L’amour était frivole, ému, libre, profond.
Le réel avait tu sa rumeur importune,
Les ombrelles des pins se veloutaient de lune,
Un désordre joyeux régnait dans le couvert ;
Les candélabres hauts de vieille argenterie
Portaient à chaque branche une flamme fleurie
D’un lilliputien abat-jour, mauve ou vert.
Ce fut une soirée unique de magie
Et dont nous garderons toujours la nostalgie :
Les cœurs étaient de choix, les esprits aristos ;
Les silences disaient des passages de rêves ;
Puis les mots repartaient, ennoblis par ces trêves,
Et les âmes vibraient ainsi que les cristaux.
Le vin était d’Asti ; le luxe, véritable ;
Des violettes en tous sens jonchaient la table ;
Les unes se mouraient : elles étaient des bois ;
D’autres duraient encore : elles étaient de Parme ;
D’un verre qu’on eût dit soufflé dans une larme,
Des roses s’effeuillaient d’un seul coup, quelquefois.
Le moindre pli, le moindre nœud, la moindre ganse,
Résumait en soi seul des siècles d’élégance ;
Le moindre mot de ces charmants civilisés,
Des siècles de finesse, et dans les accessoires
Les plus inattendus, des siècles de victoires
Sur la lourde matière étaient totalisés.
On disputait de poésie et de musique ;
Un doux bavard faisait de la métaphysique ;
Les fraises, cependant, d’un tas pyramidal
S’écroulaient et roulaient sous les doigts des gourmandes ;
Les rieuses offraient moitié de leurs amandes ;
On entendait quelqu’un qui parlait de Stendhal.
Et les glaces fondaient, minuscules banquises,
En délivrant des fleurs qui dedans étaient prises ;
On se sentait parfois dans une extase, et puis
On ne savait plus trop d’où venait cette extase,
Si c’était du joli mystère d’une phrase,
Ou de la nouveauté d’un couteau pour les fruits.
(…)
Ce fut une soirée unique de magie.
Le vent malin souffla la dernière bougie
Devant que fût fini notre ultime sorbet.
Parfois, faisant pousser des cris aux robes blanches,
On voyait, incendie indiscret sous les branches,
Une lanterne japonaise qui flambait.
(…)
La fraîcher sous les doigts de ces perles, ces grâces,
Cette confusion d’esprits de toutes races,
Ces minutes, ce parc où l’on était si bien,
Joignaient le charme encor, a tant de charmes rares,
De tout ce que déjà menacent les barbares,
In tout ce dont bientôt il ne restera rien.
Edmond Rostand
Le saviez-vous ?
Edmond Eugène Joseph Alexis Rostand, né à Marseille le 1er avril 1868 et mort à Paris, 7e, le 2 décembre 1918 (à 50 ans), est un écrivain, dramaturge, poète, et essayiste français.
Edmond Rostand est l’auteur d’une des pièces les plus connues du théâtre français, Cyrano de Bergerac. Il est, par ailleurs, le père de l’écrivain, biologiste et académicien français Jean Rostand.
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